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Vincent Carry - Nuits Sonores - Janvier 2006

 

Peux tu te présenter et nous dire comment tu es tombé dans la musique électronique ?

Je m'appelle Vincent Carry, je suis le directeur du festival Nuits Sonores et je m'occupe de l'association Arty Farty qui organise ce festival. J'ai commencé dans les musiques électroniques au tout début des années 90 en créant une association qui s'appelait " les conspirateurs " et qui programmait des soirées dans un endroit qui n'existe plus aujourd'hui le " Toy club ". C'était un lieu alternatif plutôt rock indépendant et qui a vécu les prémices de l'électronique avec toute la vague de Manchester, Factory Records, happy Mondays…

Je suis parti ensuite à Londres en 1990 et j'ai eu de la chance parce que ce fut une année charnière pour les musiques électroniques qui sont montées très fort pendant la période ou j'étais à Londres, évidemment ça a été une claque historique. Quand je suis revenu à Lyon pour finir mes études, je me suis lancé dans cette culture là avec à l'époque l'ancien propriétaire du " Toy club " qui venait de racheter un club le " Zoo " (rue mercière). Le Zoo a été un des tous premiers clubs électro à Lyon. On a programmé des djs résidents anglais comme Andy Pethen et Julian. On a fait venir Dave Haslam, Ashley Beedle, Patrick Vidal, Erik Rug…Et puis bien sur tous les artistes de la première vague électro à Lyon jouaient la bas, je pense par exemple à P. Moore ou Alex K…

Dans la foulée du Zoo, on a ouvert un magasin de disque " Indépendance records " qui n'existe plus aujourd'hui, si ce n'est sous la forme d'une structure de distribution, même si esthétiquement ça n'a plus rien à voir avec ce que c'était au départ, à savoir un bon magasin de disque avec de la vente direct, de la VPC et pas mal d'imports. C'était une période intense, j'étais la journée dans le magasin et la nuit dans le club. On a organisé la première grande rave à Lyon intra-muros qui s'appelait " Cosmic energy " et qui a eu lieu le 12 février 1994 à la Halle Tony Garnier, on a eu 8000/9000 personnes avec un plateau assez allemand et des artistes locaux comme Luigi et Strat si mes souvenirs sont bons. Cette soirée venait à la suite d'une première rave, la " Marathon rave " qui elle a eu lieu le 31 décembre 1993 à Meyzieu dans des hangars, on avait programmé alors Derrick May mais aussi Carl Cox. (ndlr : les flyers de ces soirées sont sur le site, rubrique flyers bien sur !)

Le lendemain de Cosmic Energy j'ai démissionné d'Indépendance Records et du Zoo parce que je ne me retrouvais plus dans la ligne artistique de ces lieux. Elle était devenue plutôt commerciale pour des raisons économique bien sur, en tout cas moi je ne m'y retrouvais plus et j'ai crée une agence de djs qui s'appelait " Man machine " en hommage à Kraftwerk évidemment, on retrouvait dans cette agence 11 artistes dont P. Moore, Miloch, Alex k, Strat, Dan. On a vraiment essayé de faire vivre cette structure, j'avais déjà dans l'idée de professionnaliser tout ça, de faire en sorte de travailler sur un terrain normalisé d'un point de vue professionnel. Ca c'est avéré impossible parce que la structure s'est monté au moment de la période la plus sévère de répression de la techno en France et plus particulièrement en Rhône-Alpes avec l'annulation de Polaris et la création de Technopol qui en a découlé. Finalement l'agence a eu une durée de vie limitée (18 mois) mais ça a été une très bonne expérience.

Apres tout ça, j'ai repris le pilotage d'un club plus orienté house " l'Opéra Mundi " sur les pentes de la Croix-Rousse. Je me suis occupé aussi d'un autre festival " le Festival à la campagne " en 1994, 1995 et 1996, orienté plutôt rock et pop, c'est aussi à cette époque que je suis devenu journaliste, j'ai été critique cinéma à Lyon Poche. Et en 2002, on a lancé Nuits Sonores…

Peux tu nous raconter la genèse du festival Nuits Sonores ? Comment tout cela s'est crée ?

En fait c'est une rencontre entre plusieurs personnes qui se sont rassemblées pour écrire le projet : P. Moore, Agoria, les filles d'Arty Farty et moi. Un peu plus tard José Lagarellos remplace Agoria à la programmation, étant donné que cette époque correspond à la sortie de " Blossom " et que du jour au lendemain Agoria est devenu un artiste important en France et bien au delà, il n'avait donc plus la possibilité de consacrer du temps au projet.

On a écrit le projet, la période de gestation a duré plusieurs mois. Il a ensuite été présenté à la ville de Lyon en premier lieu, puis ensuite à la région Rhône- Alpes, à des partenaires privées, à des partenaires médias comme Trax qui nous a rejoint dès le départ. La suite tout le monde la connaît, 16 000 personnes la première année, 29 000 personnes la deuxième année, 36000 en 2005, et 47000 l'année dernière.

Quelle est la viabilité du projet à long terme, le festival est il encore "fragile" ?

C'est un projet que l'on veut pérenniser évidemment, mais il ne faut pas durer à n'importe quel prix, si les conditions pour faire un bon festival ne sont plus réunies, moi je préfère ne pas le faire plutôt que de faire un mauvais festival. Ceci dit, c'est un objet fragile un festival et pas seulement sur la question du financement. Il faut des lieux d'accueils, un bon artistique, une bonne communication, du public. Aujourd'hui, on a gagné les premières manches, dans le sens ou on a réussi à imposer ce projet en France voire au niveau Européen. Il est reconnu et plébiscité dans un certain nombre de cas : les artistes dans leurs immenses majorités souhaitent venir jouer chez nous. N'oublie pas non plus, que le festival rassemble 200 structures, c'est vraiment un truc de dingue, touffu et dense. Donc je pense que le festival à toutes les chances de poursuivre sa vie. Même si ce n'est pas facile à pérenniser.

Arty Farty reste une petite structure par rapport à la taille du projet. Si je compare avec les festivals de première génération en France, en prenant par exemple les Transmusicales de Rennes : le festival fait en payant la même chose que Nuits Sonores, mais en gratuit beaucoup moins vu qu'il n'y pas de propositions gratuites sur les Trans. Au cumulé le festival a une fréquentation qui est presque moitié moindre que celle de Nuits Sonores. Et bien, quand tu vois l'infrastructure qui porte ce projet, ça n'a rien à voir avec nous; ils ont beaucoup plus de salariés, beaucoup plus de moyens, un budget qui est plus du double au notre. Nous, on travaille dans une économie particulière, même si on tend à se professionnaliser avec nos deux permanents, notre emploi aidé par la région et des intermittents très engagés dans le projet, on reste une structure petite par rapport à la taille du projet.

Après, je pense le projet étant ce qu'il est, il a une durée vie importante avec une qualité qui lui permettra de durée je pense, c'est le fait d'être à l'affût de toute les révolutions musicales et de toutes les innovations. Aujourd'hui on l'appelle encore " Panorama des musiques électroniques " alors que l'on sait très bien que c'est une définition que nous même on transcende largement. On la dépasse en allant sur le terrain du hip-hop, du rock ou de format plus expérimentaux. On s'emmerde pas avec cette étiquette, elle donne une couleur au projet, mais on est très ouvert sur les esthétiques autour de l'électronique, et ce fait là de se dire tout simplement que ce qui nous intéresse c'est ce qui se fera musicalement dans les années à venir laisse la porte complètement ouverte.

Souvent les gens me pose la question " tu crains pas que la techno disparaisse ? ". D'abord, Nuits Sonores n'est pas un festival de techno tout le monde le sait, quand à l'évolution des musiques électroniques, nous serons de toute façon toujours intéressé par ce qui se fait de nouveau, donc on a aucun risque de ne pas avoir envie de défendre des choses artistiquement.

Sur la structure du festival en lui-même, il y a quelque chose d'important, c'est le fait que le festival soit essentiellement urbain, je suppose que trouver des sites d'accueils est de plus en plus difficile ?

C'est une excellente question car c'est une des plus grosses difficultés que l'on est à gérer, si ce n'est la plus grosse, pour trois raisons :

Les deux premières raisons tiennent à la nature même du projet : il a pour ambition d'investir des lieux non conventionnels avec une forte plus value esthétique, patrimoniale et architecturale. Ainsi nous sommes allés à la piscine du Rhône, aux Salins du midi, à la Sucrière, aux Subsistances, sur les toits de la gare Perrache…

Le fait que ce soit un festival urbain est pour moi aussi important que la programmation, ce sont deux choses très complémentaires, l'un et l'autre ne peuvent pas exister séparément : c'est une programmation dans un environnement urbain, tout est là, organiser nos soirées dans un parc d'exposition à 20 km du centre, je ne dis pas qu'il ne faut pas le faire, mais ce n'est pas le projet. Nous on veut qu'il y est une émulation forte dans la ville à ce moment là, que les gens puissent passer d'un bar à une galerie, d'une galerie à une salle de concert, d'une salle de concert à une friche, d'une friche à un cinéma. On utilise ainsi 40 lieux par an; ces lieux on les choisit avec beaucoup de soins : il nous faut des lieux avec une âme et qui soient agréable pour le public. En ce sens, le parc de la Villa Gilet ou nous avons clôturé le festival l'année dernière est vraiment un super endroit, et on préfère vraiment faire les fêtes dans des endroits comme celui là.

La 2e chose importante, c'est que tous ces lieux changent chaque année, le format même du festival change tous les ans. Si l'armature reste d'une année sur l'autre, les lieux sont redistribués chaque année. Ca nous complique évidemment encore plus les choses, nous sommes quasiment les seuls à faire ça en Europe, quand on regarde Sonar par exemple, c'est exactement le même format et les mêmes lieux chaque année.

Justement depuis que le sonar de Nuit s'est installé en périphérie de Barcelone, on reproche au festival d'avoir perdu son âme.

Non seulement en périphérie, mais surtout dans un lieu pas très beau en soi, un parc d'exposition. C'est le même problème pour Rennes et les Transmusicale, Jean Louis Brossard le directeur du festival qui est un type extraordinaire, toujours à la tête des Trans 28 ans après leur création, était sûrement dégoûté de devoir partir le festival du centre de Rennes. Et les Trans font partie des festivals qui nous ont inspiré quand on a monté le projet, moi j'adorais le coté " bar en Trans ", le fait que les salles étaient dans le centre. Quand tu viens sur un festival, tu veux bouffer avec des amis puis aller dans une salle, retourner dans un bar boire un coup, c'est ça un festival. En tout cas, ce n'est pas de te dire je prends une navette, je vais dans un parc d'exposition et puis je ne bouge plus de là. Donc on compte bien garder ce caractère urbain propre à Nuits Sonores.

Le 3e problème que l'on rencontre et qui découle des 2 autres c'est que le festival grossit. On doit trouver des lieux qui ont toutes ces caractéristiques mais qui en même temps doivent être de plus en plus grand. En plus on doit gérer ça dans un contexte où la pression qui existe sur les commissions de sécurité, compétentes pour l'accueil du public, est de plus en plus forte, ce qui est normal d'ailleurs, on ne se plaint pas; mais c'est de plus en plus difficile à ce niveau là pour nous organisateur. Techniquement aujourd'hui il y a beaucoup de lieux qui nous sont barrés du fait que les législations en matière d'accueil du public sont lourdes. Tous ça mis bout à bout donne une sacré partie d'échec pour monter un festival à caractéristique urbaine.

Le réseau des festivals s'est crée il y a 2 ans, c'est une association depuis l'année dernière, ou en êtes vous ?

Le réseau existe depuis 1 an de façon légal, c'est à dire qu'il est inscrit à la préfecture en tant qu'association. A sa tête on trouve Christophe Moulin le directeur du Nordik Impakt, la trésorière est Laurence de Marsatac et le directeur de Calvi on the rocks en est le secrétaire, je suis moi président adjoint. Il y a 5 membres fondateurs : Calvi on the rocks, Astropolis, Marsatac, Nordik Impact et Nuits Sonores. Deux membres vont nous rejoindre rapidement : Oososphere et Name, 2 autres sont pressentis, on sera alors 9.

On réfléchit à créer autour de ce réseau une série de liens privilégiés avec d'autres réseaux qui existent en Europe, notamment en Allemagne. Il y a une structuration des festivals de culture électronique et d'arts numérique en Europe. On va nous par exemple participer à une opération qui s'appelle " European Travel " qui va avoir lieu à Cologne sur le festival " c/o Pop " en août prochain, manifestation que l'on co-organise avec 9 autres festivals comme " Distorsion " à Copenhague ou " Synch " à Athènes. On a donc clairement envie de se rapprocher de ses festivals européens. Le réseau à 3 vocations :

. Un principe d'entraide au sens large, on se réunit pour s'échanger des informations, on communique sur le festival des autres, on se place en fait sur un terrain non concurrentielle, nous sommes tous solidaires. Le réseau est constitué de festivals qui ont lieu ni dans la même région ni dans la même période, ça rend les choses plus faciles. Quand Marsatac a lieu, Nuits Sonores envoie une newsletter à tous ses abonnés et chacun le fait pour les autres festivals. De la même façon dans chacun des programmes des festivals il y a une page pour chacun des festivals du réseau.

. Mutualisation des informations et des moyens, il y a pas mal de choses sur lesquelles on pourrait potentiellement investir ensemble et faire tourner ensuite sur les festival du réseau, je pense par exemple à du matériel vidéo. Mutualisation de partenariats : aujourd'hui il existe une offre partenariale sur chacun des festivals, nous on a notre dossier de partenaires avec des entreprises privées. Mais cette défense du festival pour récupérer des moyens financiers, on le fait aussi au niveau du réseau puisque l'on propose à un certain nombre de gros partenaires d'intervenir sur l'ensemble des festivals. Ce qui peut avoir un intérêt non négligeable pour certaines marques, elles peuvent communiquer sur plusieurs évènements en France. Mutualisation des informations, on se parle sur des choses stratégiques : les relations avec des tourneurs ou des agents, c'est typiquement le genre d'information que l'on va se donner. Si un agent essaye de te gonfler le prix d'un artiste de 30 %, tu appelles ton pote et tu lui demandes le cachet qu'il a obtenu. Cela peut se faire aussi sur des domaines plus techniques comme les prix des prestataires.

. Enfin, nous avons le soucis d'avoir une représentation publique. Il existe en France un " syndicat " de la techno, à savoir Technopol, crée à Lyon en 1996 mais qui est aujourd'hui à Paris. Nuits Sonores est adhérent, et on ne conteste pas le rôle de Technopol qui défend l'ensemble de la sphère électronique et qui travaille sur les questions de droits d'auteurs, d'autorisations, de réglementations… Technopol s'adresse aussi bien aux clubs, aux labels, aux organisateurs et aux festivals. Nous on considère que l'on a une spécificité en tant que festival et que les enjeux qui sont portés par les festivals aujourd'hui en France sont particuliers, en effet on ne se reconnaît ni dans les festivals de première génération comme les Transmusicales ou les Eurockéennes, ni dans le mouvement free même si on a avec eux des choses à partager, historiquement et esthétiquement.

Défendre notre identité en tant que telle et faire passer notre message, c'est quelque chose que mérite d'avoir une structure qui rassemble les gens qui font ce travail là en France, voila pourquoi le réseau existe aujourd'hui.

Vincent, merci !

+ d'infos :
www.nuits-sonores.com

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